Entretien avec Romain Boussé, diplômé en 2015 de l’École nationale supérieure d’architecture (ENSA) Paris-Val de Seine. Il officie actuellement comme architecte dans une agence parisienne spécialisée dans les projets « clés en main » à destination des entreprises. Il nous livre sa vision de la construction modulaire.
Quel regard portez-vous sur la construction modulaire ?
Romain Boussé : Le modulaire a beaucoup évolué au fil du temps. Longtemps réservé aux bases vie aux abords des chantiers, il s’est imposé dans les situations d’urgence. À chaque fois qu’une catastrophe nécessitait de reloger ou d’abriter des populations, le bâtiment modulaire, très rapide à construire et à installer, entrait en scène. Un autre critère « temps » a joué en sa faveur. Grâce à sa réversibilité totale – il ne laisse aucune trace après son passage –, le modulaire est très utilisé pour les installations éphémères : showrooms, festivals, etc.
Le modulaire est-il forcément temporaire ?
R. B. : Pas nécessairement. Nous touchons ici à une question de culture, et donc d’histoire. La recherche de rationalisation dans la construction a été particulièrement forte au début du XXème siècle, notamment dans les réalisations du mouvement moderne. Walter Gropius, le créateur de la célèbre école de Weimar (Bauhaus), a lui-même travaillé sur le thème de la préfabrication. La structure ossature à plan ouvert de la maison Dom-Ino de Le Corbusier en est un exemple. Dans l’après-guerre, l’urgence de la reconstruction a favorisé le développement de la préfabrication et de la modularité. Je pense ici au Français Jean Prouvé et à ses maisons démontables. Or, dans notre imaginaire collectif français, ce qui se construit vite se démolit vite. Le bâtiment modulaire, plus rapide à construire car essentiellement préfabriqué en usine ou en atelier, souffre de cette idée. Ce n’est d’ailleurs pas le seul préjugé à l’égard de ce secteur. Il en existe aussi sur certains matériaux qui seraient plus nobles que d’autres. La pierre est ainsi un symbole de longévité. La construction en pierre, qui nécessite plus d’efforts et de temps, serait par extension un investissement sur le long terme. Pourtant, rien n’est simple, et on observe aujourd’hui un rapprochement entre les types de construction. La construction traditionnelle a ainsi de plus en plus recours à la préfabrication, que ce soit pour des dalles ou pour des éléments de façades, conçus en usine et insérés sur le bâtiment.
La préfabrication est-elle synonyme de standardisation ?
R. B. : L’uniformisation est un risque ! En ayant recours à des éléments préfabriqués, le BTP pourrait très bien façonner des villes monotones, sans identité. Que l’on parle de construction traditionnelle ou non, il est donc crucial de proposer un maximum de variables, d’éléments de personnalisation afin que chaque bâtiment s’intègre à son environnement, tout en ayant une personnalité.
Quels sont les atouts du modulaire ?
R. B. : Au-delà de la rapidité de son exécution, ce mode constructif permet d’être particulièrement responsable sur certains aspects. D’abord, par le choix des matériaux : l’acier, qui est de plus en plus plébiscité pour ses vertus en matière de développement durable, est largement utilisé dans la construction modulaire. Ensuite, la préfabrication en usine permet d’optimiser l’allocation des ressources et d’éviter une partie du gaspillage inhérent à la construction traditionnelle – cela peut être un vrai atout alors que les clients demandent de plus en plus des chantiers moins énergivores. Enfin, c’est un procédé constructif plus respectueux des hommes et femmes en permettant de proposer de meilleures conditions de travail, notamment en limitant les efforts de manutention.
Quel défi devra relever le modulaire demain ?
R. B. : Dans une société en transition où les besoins des individus, des entreprises et des institutions évoluent à toute vitesse, la construction modulaire peut être une alliée pour opérer les futures transformations et rénovations des infrastructures. À plus long terme, on le sait, le changement climatique va provoquer des mouvements importants de population. La construction modulaire va devoir proposer le meilleur de ce qu’elle sait faire en termes d’habitats et d’infrastructures pour répondre aux besoins de toutes ces personnes. Un sacré challenge !