Le modulaire sera-t-il la clé pour redynamiser les grands ensembles et redonner ainsi du sens aux quartiers d’habitat social ? Les 4 projets lauréats de la 7e édition du concours annuel organisé par Algeco autour de cette thématique nous apportent de précieux éléments de réponses. Tour d’horizon des réalisations primées par le jury, rejoint cette année par le vainqueur de la précédente édition, Charles SAADE, et par l’architecte Union sociale pour l’habitat Cécile SEMERY.
Quand le modulaire rassemble…
La rénovation des Grands ensembles se poursuit depuis 30 ans mais elle est loin d’avoir traité la totalité des sites et elle aborde peu l’une des raisons historiques du mal-être des grands ensembles : le grand vide d’activités qui caractérise les espaces publics, au pied d’un habitat collectif dense. En-dehors des « centres commerciaux » qui étaient souvent situés en « galette » au pied des tours ou en « rez-de-dalle », il était et il reste très difficile de rendre utiles ces espaces publics, d’y installer les aménités…
Les petites choses qui font la ville se font rares dans ces vastes espaces encore aujourd’hui stériles. Obtenir, pour une association, l’autorisation de construire sur ces grandes aires est quasiment impossible.
Dès lors, humaniser les grands ensembles n’est pas une mince affaire. Il n’existe pas UNE solution magique pour répondre aux nombreux besoins que les populations de ces quartiers expriment. Le modulaire pourrait néanmoins rétablir dans les grands ensembles le « permis de faire » dont disposent, dans la ville ancienne, les habitants et les élus qui veulent améliorer les services et les aménités. C’est dans l’assemblage de projets hétérogènes que ces quartiers (re)naîtront.
Ce vaste sujet a été le cadre du concours Architecture(s) Élémentaire(s) #7 auxquels de nombreux architectes, architectes d’intérieur et étudiants en design ont participé. Particularité de cette année (liée au sujet) : chaque projet présenté était singulier et répondait à l’un des nombreux enjeux du comment vivre ensemble : se loger autrement, penser la vie associative et citoyenne différemment, cultiver au-delà des champs ou encore vivre ses loisirs en saine liberté.
Oui, mis bout à bout, ces 4 projets récompensés pourraient parfaitement constituer une piste d’aménagement rationnelle, concrète, pour faire revivre des espaces et leur redonner une utilité. Là où les grands projets orchestrés depuis 30 ans se sont « cassé les dents », ces « petits projets », vraies grandes idées, semblent capables de redonner une impulsion à la fertilité sociale et culturelle dont ces lieux de vie sont potentiellement remplis. Car ces 4 créations conjuguent bien toutes le mot « ensemble » : cet « ensemble » vital pour ces quartiers souvent en errance et source de méfiance ; cet « ensemble » qui nous manque après des mois de crise sanitaire ; cet « ensemble », indissociable du modulaire où tout est question d’assemblages.
La construction modulaire pour se loger dans grands ensembles : une grande idée plébiscitée par le Jury !
1er Prix – L’unité de voisinage par Dominique Naquin
Manque de moyens, manque de foncier… et tout simplement manque d’idées : le logement en ville, notamment à la périphérie des grandes cités, a du mal à se réinventer. Outrageusement normé, l’habitat peine à s’adapter aux changements de modes de vies. Et quand la situation sanitaire s’en mêle, on constate en plus « violemment » les limites des espaces de vie actuels limités dans tous leurs aspects : taille, confort, équipements…
« L’Unité de Voisinage » de Dominique Naquin porte l’originalité d’utiliser la trame et la structure du module Algeco en y associant des programmes domestiques, et ce, en vue de créer une nouvelle conception de l’habitat dans nos métropoles. Le modulaire se fait logement. Toutes les combinaisons sont envisageables : résidence senior, coworking, co-living, espaces uni-familial… Ce couteau suisse modulaire se plie à tous les besoins et peut ici proposer un jardin d’hiver, là un espace de jeux, ici un bureau collectif, un jardin, une terrasse… Ce projet original et surprenant est en réalité une réflexion opérationnelle et globale sur la manière de « faire la ville » en prenant en compte tous les paramètres : le coût, le temps, la pérennité ou encore l’évolutivité de la production.
Cette recherche autour de l’habiter, Dominique Naquin la poursuit au sein de son agence, l’atelier du cabanon, lieu de recherche théorique et programmatique. Selon lui, « la construction modulaire offre une solution à exploiter : son mode de production en série réduit les coûts et le temps d’exécution du chantier. Le tout en générant, en amont des phases de conception classique, une phase de réflexion plus expérimentale et programmatique : le prototypage. »
Le vainqueur du concours ne fait ici que défendre la notion du droit, pour les habitants, de faire évoluer leur cadre de vie selon leurs besoins, formidable allié exclusif du modulaire. Avec toujours la possibilité de modifier et d’optimiser, à partir d’un objet simple : le module, les combinaisons sont diverses et variées : celui-là offre en effet, selon Dominique Naquin, « une grande plasticité architecturale et, par sa flexibilité, une infinité de solutions pour s’adapter à tous les contextes, tous les besoins. ».
« L'assemblage et le décalage de ces constructions permettent de moduler un espace à vivre
et de l'adapter,en ajoutant ou en ôtant des surfaces habitables,en diversifiant les typologies pour répondre à un besoin immédiat. »
L’associatif bien pensé et récompensé
2e Prix – Le Repaire, maison associative et citoyenne, par Laura Ternot
L’associatif, tout le monde en parle, mais dans les faits, les grands ensembles accueillent une somme de projets plus « dissociatifs » qu’autre chose. Comme souligné dans l’énoncé du concours : « Les lieux sont intelligents si les gens sont intelligents ». Laura Ternot a pris cette vérité au mot : « Mon but à travers ce projet est d’aider les habitants des Grands Ensembles à investir les lieux en proposant eux-mêmes des projets qui leur tiennent à cœur. Sur la base du projet associatif, les habitants utiliseront la modularité du système Algeco pour donner vie à leurs idées. »
Ce lieu potentiellement situé, par sa créatrice, à Clichy – Montfermeil (92) pourrait au gré des envies de ses usagers accueillir une association, un espace de coworking, un dépôt-vente de jouets et autres vêtements, une classe de cours de soutien, un cours de Zumba… Rien n’est figé puisque l’infrastructure évolue au fil des semaines, mois, années. Pour Laura Ternot : « Le Repaire crée une dynamique architecturale et temporelle : c'est une maison associative et citoyenne. »
Laura exploite dans son projet toute la simplicité de mise en œuvre du modulaire, mais aussi son pouvoir d'évolutivité et de durabilité. Selon elle, « les projets modulaires sont une force pour la Ville et ses habitants, une puissance à exploiter pleinement ! Que mon projet, porteur de valeurs sociales et solidaires, ait été récompensé est une vraie fierté. »
« Si la grille sert de principe architectural, c’est pour illustrer le fait que c’est aux habitants de s’emparer de la structure et d’y intégrer leurs projets… »
Le modulaire « pousse-partout », où quand la campagne s’invite en ville…
3e Prix – Agro’Cité par l’Atelier Kaosē (www.atelierkaose.com) (Paul Huguet - Aurélien Cantegrel - Anna Cholle - Francis Baucher)
Partant du principe que les grands ensembles présentent un fort potentiel spatial et culturel, le projet Agro’Cité positionne Le Blanc-Mesnil (93) comme l’un des acteurs potentiels de l’agriculture urbaine et des services écosystémiques (écologique, économique et social) qui en résultent.
Pour l’Atelier Kaosē, « la réhabilitation du quartier des Tilleuls a pour objectif de dynamiser le territoire par l’autogestion d’espaces végétaux (terrasses, jardinières et serres agricoles) et de services (locaux de vente, de valorisation et de sensibilisation) constitués d’une déclinaison de modules Algeco (composés de divers panneaux autonomes) greffés progressivement aux bâtiments existants. » Cette réponse modulaire est doublement vertueuse, car son impact est à la fois architectural et sociétal.
L'agriculture urbaine présente ici des aspects pédagogique, ludique et esthétique mais aussi un rendement économique favorable aux habitants parfois défavorisés. Chacun peut cultiver son jardin et les espaces publics du quartier. La végétalisation verticale propose une esthétique aux multiples formes et couleurs dans un univers généralement monotone.
La dimension durable de ce projet, s'il était amené à exister et à se dupliquer ici et là, contribuerait au développement de la biodiversité des grands ensembles et constituerait une réelle respiration par un apport conséquent d'oxygène.
Avec Agro’Cité, le modulaire cultive à nouveau sa politique soucieuse du respect de l’environnement dans l’univers de la construction.
Se dépenser à l’économie, ça mérite un prix !
Mention Spéciale – Objectif par Nolwenn Riou
Les grands ensembles sont surchargés, sans pour autant que les populations se rassemblent, contribuant ainsi à une forme de distanciation stérile au quotidien. C’est près de Bordeaux, à Lormont, au centre de la résidence Alpilles-Vincennes du quartier Iris Lissandre, que Nolwenn Riou a virtuellement (pour l’instant !) projeté son projet. Pour rassembler, quoi de mieux que des assemblages un peu fous… mais redoutablement malins !
L’objectif est de créer un point de rencontre, de liberté, de ralliement, de « défoulement vertueux », notamment à destination des jeunes déscolarisés. Durant son cheminement dans un bâtiment modulaire à 3 étages, l’usager surmonte des obstacles comme s’il était dans la rue et suit des cours sportifs organisés par une association sportive de la ville.
Pour Nolwenn Riou, « Le projet propose un lieu sécurisé où les usagers peuvent se dépasser, autant physiquement que mentalement. Cet espace d’expérimentation encourage les jeunes, notamment des quartiers sensibles, à affronter les obstacles de la vie. Et franchement, le coût est minime par rapport aux retombées en termes de sérénité, de quiétude ! »
Les volumes créés n’ont pas de vocation attitrée : libre aux usagers d’en inventer les utilités. Ce sont des espaces multifacettes, évolutifs voire nomades que seul le modulaire peut permettre de mettre en œuvre. Nolwenn le confirme : « L'architecture modulaire peut donner plusieurs vies à une construction, surtout pour les loisirs en ville. Cela permet aussi à une même construction de s’implanter dans divers lieux. Elle peut voyager et satisfaire différentes populations. »
« La construction peut être éphémère, apparaître puis disparaître sans laisser de traces. Elle peut aussi persister si on le souhaite… Ici, tout est liberté ! »