Jeunes architectes, Benoit Sallé et Ronan Thomas sont les lauréats 2016 du concours « Architectures Élémentaires » organisé par Algeco. Leur projet, « Running City », imagine des centres-villes équipés de vestiaires accessibles à tous les coureurs. Une approche avant-gardiste plutôt convaincante !
Comment avez-vous découvert "Architectures élémentaires” et pourquoi y avoir participé?
Benoit Sallé & Ronan Thomas - Nous avons pris connaissance du concours via le réseau des anciens élèves de l’Ecole d’Architecture de Bretagne. Le thème de l’année 2016, « Transit 2025 : c’est quoi un lieu de transit dans 10 ans ? », nous parlait, car nous sommes aussi ingénieurs civil et urbain, intéressés par la question de la mobilité. Et nous avions déjà travaillé sur les structures modulaires, qualitatives et faciles à mettre en œuvre.
Sur quels principes repose votre projet« Running City » ?
R.T. - Notre postulat de départ est que la voiture individuelle n’est plus un modèle de transport d’avenir en centre-ville. Il se heurte à des objections économiques (comme le prix des carburants), écologiques (liés aux émissions de CO2), logistique (circulation saturée) et même psychologique (dépendance trop forte à son véhicule).
B.S. - À partir de ce constat, nous avons identifié trois possibilités. Développer des véhicules propres, mais qui resteront individuels. Accroître le maillage des transports en commun, ce qui se révèle souvent complexe, long et coûteux. Encourager enfin un « mix circulatoire » en favorisant de nouvelles formes de transport urbain : le covoiturage, le vélo déjà présent dans de nombreuses villes, mais aussi le « running ».
Voir les gens aller au travail en courant vous semble réaliste ?
B.S. - Oui. Les adeptes sont de plus en plus nombreux 1. Courir est non seulement bon pour la santé mais également pour l’environnement, et pourrait être subventionné à moindres frais. La Ville de Paris accorde déjà jusqu’à 400 € pour l’achat d’un vélo à assistance électrique et accompagne les entreprises dans le remplacement de leurs véhicules polluants.
R.T. – Le simple « effet de mode » serait vite dépassé. Quand Copenhague a donné la priorité au vélo il y a 30 ans, personne n’y croyait. On trouve désormais des parkings pour deux-roues dans toutes les gares ainsi que des compartiments dans les wagons des trains et métros.
Votre proposition est d'implanter en centre-ville des vestiaires-douches réservés aux runners. Ils prennent la forme d'un totem. Pourquoi?
R.T. - L’absence de vestiaires est le frein principal au développement du running, il faut permettre aux gens de se doucher et se changer à proximité de leur lieu de travail. Il faut aussi que ces vestiaires soient visibles, attractifs, incitatifs. D’où l’idée de totems déstructurés dont les deux « jambes » symbolisent une foulée, avec un habillage façon origami évoquant un tee-shirt froissé…
B.S. - Ils seraient constitués de modules Progress de 30 m2, facilement empilables. Les utilisateurs trouveraient douches, sanitaires et vestiaires équipés de casiers en location. Légers, peu encombrants au sol, ces monolithes seraient faciles à démonter ou à multiplier.
Un modèle économique existe-t-il garantissant la viabilité du projet?
R.T. – « Running City » n’est pas une utopie. Nous aimerions que les pouvoirs publics prennent en charge l’implantation des totems, un peu comme pour les WC publics. Des recettes seraient générées par abonnement, sous des formes diverses : carte annuelle ou mensuelle, ticket hebdomadaire ou journalier. Nous pensons également au sponsoring par des équipementiers type Nike ou Adidas. L’accès pourrait même alors être gratuit, avec ouverture en rez-de-chaussée d’une boutique de sport, d’un pressing ou d’autres services à imaginer.
Combien d'iplantations seraient nécessaires à Paris, vile référence de votre dossier?
R.T. - Nous avons raisonné à partir d’un premier totem érigé Place de La République. Avec pour base de calcul un rayon de 3 km, soit 15 à 20 mn de course – durée acceptable pour beaucoup selon nous pour une course domicile-travail –, une douzaine de totems suffiraient dans un premier temps pour couvrir toute la ville de Paris.
B.S. - Le sujet du transport est toujours délicat à aborder avec les décideurs, il n’existe pour l’instant pas de contact avec la Mairie ou la Région. Dans notre dossier, théorique, l’implantation de cette « masse critique » se fait en trois phases : 2015, 2020, 2025. Tout ceci est bien sûr adaptable. Notre projet est d’une grande… modularité !
1 NDLR : 8,5 millions de pratiquants de la course à pied en France, soit 19 % de la population, selon une étude de la Fédération Française d’Athlétisme de 2014.
© Benoît Sallé / Ronan Thomas