Architecte, entrepreneur et professeur, Philippe Morel* tient un discours engagé. S’opposant à la « lourdeur » du processus de construction, il milite pour un allégement de la réglementation qui pèse sur le bâti et des propositions plus audacieuses des maîtres d’œuvre. La construction modulaire pourrait être un élément de réponse.
L’architecture est-elle en phase avec le monde dans lequel elle évolue ?
Avec Internet, les mises en relation des individus évoluent, tout devient plus fluide, plus accessible. Face à cela, j’ai le sentiment que l’architecture est dans une posture passive et qu’elle rate le virage du numérique. Il n’y a pas suffisamment de passerelles faites avec l’innovation sociétale. Prenons le cas de la consommation en circuit court qui se développe grâce aux plateformes de mise en relation. Aujourd’hui, il n’est pas rare que des producteurs locaux viennent directement livrer/vendre leurs produits sur des parkings, en périphérie des villes. Alors que ces espaces – au sens propre et figuré – d’innovation sociétale devraient être pris à bras le corps par les architectes, ces derniers les délaissent. Je pense que notre mission est d’apporter une contribution positive à notre environnement commun. Il faut donc 1) sortir du cadre établi par les maitres d’ouvrages et répondre aux appels d’offres de manière plus originale, en accord avec nos valeurs et notre déontologie, 2) que les maîtres d’ouvrage sortent enfin de la stricte logique de rentabilité à court terme et qu’ils participent à la promotion de l’excellence en architecture. Il n’est plus acceptable de voir proliférer la médiocrité voire la nullité, et de voir ces mêmes maîtres d’ouvrage bénéficier, pour la plupart et dans le même temps, de « toutes les aides du monde
La réglementation n’est-elle pas un frein à la liberté de l’architecte ?
C’est certain, mais je dirais que ce qui importe n’est pas la liberté de l’architecte mais bien celle de l’architecture Aujourd’hui, les décisions sont encore prises dans une logique « top-down », les réglementations sont établies par des personnes ou commissions sans grandes connaissances architecturales et souvent avec une méconnaissance complète de l’architecture contemporaine, de ses enjeux et des possibilités qu’elle offre. Il me semble souhaitable, comme nous le faisons dans d’autres domaines, d’intégrer les citoyens mais aussi les meilleurs architectes d’une génération à l’élaboration des règles. Il faudrait également largement simplifier les maillons de la chaine de construction : la réglementation, l’accès au financement, les PLU…
Dans ce contexte, quel rôle la construction modulaire peut jouer ?
La construction modulaire fait partie des solutions d’avenir. Les besoins sont tels que les maîtres d’ouvrage y auront de plus en plus recours. D’autant plus que nous devons être plus rapides dans la construction. La rapidité d’exécution du chantier et la préfabrication en usine sont de vrais atouts. Enfin, je pense que la construction modulaire s’accorde bien avec le digital, les deux permettant de simplifier et de raccourcir les étapes de décision. Les industriels ont donc une carte à jouer avec Internet : ils doivent communiquer directement avec leurs clients pour leur proposer des offres innovantes en matière de bâti. Ils doivent également faire confiance aux architectes et aux modèles d’innovation de rupture qu’ils proposent.
*Architecte et cofondateur de l'agence EZCT Architecture & Design Research, il est Maître de conférences à l’école d’architecture ENSA Paris-Malaquais et Président fondateur de la start-up XtreeE visant à développer l’impression 3D en dans l’architecture et la construction